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Ma planche de salut

La scène a toujours été ma planche de salut,

un radeau de fortune

sur la mer mouvementée

de mes émotions. 

planche de bois

La Scène

Un espace d'émotions

J'aime écouter mes émotions. Je les laisse entrer quand je suis seule. Je les écoute se dire et m'enseigner. La tristesse, la peur, l'inquiétude, la joie, la plénitude sont des messagères.

Toutefois, une émotion n'avait pas mon attention : la colère ! Je l'ai toujours tenue à l'écart de ma vie. Je ne voulais pas l'entendre. Je la jugeais inopportune. Je considérais qu'il y avait d'autres façons de communiquer ensemble qu'en se criant dessus.

Au lieu de me laisser envahir par les foudres de la rage et d'exploser, je préférais faire le ménage en amont. Je faisais régulièrement le tri de mes poubelles émotionnelles depuis mon espace intérieur afin de pouvoir toujours offrir un visage souriant à mon interlocuteur. J'ai été élevée ainsi, pour être agréable et plaisante. Dans la famille, il fallait faire "bonne figure" en société. Je devais contenir mes émotions.

Heureusement, à l'école, la cour de récréation m'offrait la scène dont j'avais besoin pour m'exprimer en faisant le clown avec mes camarades.

Mais mes états d'âme n'avaient pas de public. J'attendais de me retrouver seule avec moi-même pour les explorer. J'aimais par dessus tout, me retrouver face à l'horizon et à cette immense étendue de mer, si familière. Il m'arrivait d'y pleurer parfois, assise sur une de ces chaises bleues de la Promenade des anglais, dissipant mes peurs, en plongeant mon regard au fin fond de mon âme comme dans cette eau translucide.

Ma chère mère je viens vous voir apaiser de sombres pensées, éclaircir quelques idées noires et m'abandonner pour pleurer !​​

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"Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer."   -  Pierre Augustin Caron de Beaumarchais

J'ai, à ce sujet, un souvenir d'enfant qui semble donner du sens à mon désir de rire et de faire rire. Je devais avoir trois ans et ma sœur devait en avoir deux. Nous vivions à Nouméa avec nos parents depuis quelques semaines, au domicile de mon parrain et de ma marraine qui nous hébergeaient. Mon parrain était un bon vivant qui aimait recevoir. Un soir, il avait invité une trentaine de personnes pour un repas festif.

Dans la chambre, ma sœur et moi, installées dans un petit lit d'appoint, regardions ma mère se préparer pour l'occasion. Quand elle fut prête à rejoindre les invités, je l'observais ranger sa trousse de maquillage au-dessus d'une petite armoire qui me semblait gigantesque aux vues de ma petite taille. J'avais en tête de récupérer cette trousse et je fis semblant de dormir pour que ma mère quitta la pièce.

Aussitôt, je me levai et je montai sur la barre du lit, m'agrippant aux poignées de l'armoire pour me saisir enfin de ce qui me semblait être un trésor.

Quelle joie je ressentis en ouvrant le tube de rouge à lèvres. J'en déposai une couche vertigineuse sur ma bouche et sur mes joues tout en tenant un petit miroir pour assister à ma métamorphose. Puis, je pris le poudrier et je m'inondais le visage de ce fard enchanteur. Je n'oubliais pas de crayonner mes yeux et mes paupières façon ramoneur de cheminée.

Quelle allégresse, quelle satisfaction intérieure.

J'en fis autant pour ma petite sœur, recouvrant son tout petit visage de cette poudre volatile dont j'avais largement inondé ma face. Je la barbouillai de rouge, des lèvres jusques aux joues. Nous avions toutes les deux la moitié du visage couleur cerise, comme celle des clowns.

Quand ma mère revint dans la chambre pour s'assurer que nous dormions paisiblement, elle lança, dès qu'elle nous vit, un "Aaaaah !" d'effarement et je sentis deux bras vigoureux, sans doute ceux de mon père, me saisir sous les aisselles et me porter telle une plume jusqu'à cette porte d'un blanc immaculé qui s'ouvrit sans attendre sur une immense table de convives dont les visages se tournèrent vivement vers moi dans un tonitruant éclat de rire que je n'ai jamais oublié.

Quel souvenir savoureux !

Quelle vibration joyeuse a traversé mon tout petit corps d'enfant, transporté par ces rires éclatants ! Tandis que je goûtais à ce frisson naissant, à cette sensation qu'il me poussait des ailes, je sus que je ferai du rire, le sel de ma vie ! Aujourd'hui, ma vie n'est plus un radeau qui tangue au fil de l'eau et duquel dépend mon salut.

La scène est devenue mon île, celle où l'amour m'est rendu, la planche sur laquelle je salue !

Choisissez un travail que vous aimez et vous n'aurez pas à travailler un seul jour de votre vie  -  Confucius

planche de bois

La Scène

Un espace publique

J'ai pris le parti de rire, rire de tout ce qui heurte, de peur d'en pleurer et j'ai voulu faire un métier que j'aime pour ne pas avoir à travailler un seul jour de ma vie.

J'ai choisi la scène afin d'explorer mon monde intérieur, à travers des mots d'auteurs que j'emprunte, en même temps que je prends corps. Je peux enfin dire ce qui couve en moi, sous l'œil bienveillant du spectateur et enveloppée du voile magique des personnages, souvent comiques, que j'incarne lors des représentations. Allant de JE en JE, légitimée par les rôles que j'interprète, j'enrichis mon propre personnage de cette diversité d'être et de paraitre, me délestant peu à peu de l'emploi imposé par l'histoire familiale.

Sur scène, je prends vie, je me mets au monde. Il me semble être vraie quand je suis face au public et il me semble jouer quand je suis face au monde, à cause d'une hypervigilance qui me colle à la peau dans mes relations mais qui me quitte au théâtre. Sur scène, je lâche toute tension, sans craindre d'être trop ou pas assez. Je ne me sens plus jugée mais attendue dans ce que j'ai de plus authentique.  Dans la vie, j'ai la désagréable sensation de ne pas être autorisée à être vraie mais engagée à être conforme aux attentes de l'autre ou du groupe.

Avec le temps, j'ai appris à oser être avec discernement, à mettre des limites, à dire non, et à prendre le risque de déplaire. Et cette liberté nouvelle m'a offert de tenter une nouvelle expérience, celle me retrouver face à l'œil franc et précis d'une caméra.

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